Les « années Miterrand » et la montée du FN
Pour comprendre comment le FN a pu acquérir une telle place au sein de ce qu’il appelait il n’y a pas si longtemps « l’establishment », et se construire une respectabilité, il convient de se replonger dans un passé encore récent : l’accession de la gauche au pouvoir en 1981.
En 1981, la politique européenne du gouvernement socialiste différait profondément de celle de Giscard. Sur le plan économique, Mitterrand voulait garder la maîtrise de la politique nationale pour mettre en œuvre le socialisme en France au sein d’une Europe qu’il jugeait trop libérale. Il réclamait la création d’un « espace social européen », une relance pour lutter contre le chômage et une protection commerciale plus forte à l’égard des États-Unis et du Japon. Ces propositions furent mal accueillies par les partenaires hostiles à des mesures dirigistes. Sur le plan des institutions Mitterrand récusait toute supranationalité et invoquait même l’« arrangement » de Luxembourg de 1966 sur le droit de veto.
La relance pratiquée par le gouvernement socialiste à contre-temps de ses partenaires européens se traduisait par le déficit croissant du déficit du budget et de la balance des paiements. La France dut avoir recours au soutien monétaire de l’Allemagne en promettant de pratiquer une politique plus rigoureuse. De son côté, Mitterrand n’hésita pas à donner son soutien politique au nouveau chancelier Kohl, critiqué par les neutralistes de gauche, en prononçant devant le Bundestag, le 20 janvier 1983, un discours conseillant aux Allemands d’accepter l’implantation sur leur sol des fusées américaines, pour répliquer à le mise en œuvre de nouvelles fusées soviétiques, intervention qui aida le gouvernement démocrate-chrétien de remporter les élections du 6 mars suivant. D’autre part, le président Mitterrand choisit de ne pas continuer la politique socialiste en sortant du SME et en rétablissant le protectionnisme, et de rester dans le SME et le marché commun grâce à l’aide communautaire et en acceptant de pratiquer une politique de rigueur. L’aide allemande fut alors déterminante. Le couple franco-allemand se reforma et allait jouer un rôle décisif dans l’élaboration de l’Union européenne, après avoir fait adopter par le Conseil européen de Fontainebleau (25-26 juin 1984) les mesures sur le budget et la réforme de la politique agricole, nécessaires pour sortir du blocage des Communautés.
Sur les institutions, Mitterrand s’affirmait désormais très européen. Il approuva en principe le projet Spinelli de Constitution de l’Union européenne adopté par le Parlement européen le 14 février 1984.
Sur le plan politique intérieur, François Mitterrand et le Parti Socialiste firent diversion pour faire passer le fait qu’ils abandonnaient le socialisme pour la « construction » européenne. Ils utilisèrent et instrumentalisèrent un parti d’extrême-droite pour cette diversion. Lorsque François Mitterrand arriva à la présidence en mai 1981, le FN était inexistant, et Jean Marie Le Pen qui n’avait obtenu que 0,75 % des votes en 1974 ne participe pas à l’élection. L’extrême droite, très marginale, ne pouvait prétendre à s’inscrire dans le paysage politique institutionnel sans y être aidé. C’est ce que fera François Mitterrand dés 1982 en parlant « d’iniquité de traitement dont est victime Jean Marie Le Pen à la radio télévision », ordonnant au ministre de la communication de lui faire le cadeau de l’inviter à une heure de grande écoute. En février, les pressions de l’Elysée paient, si l’on peut dire, et Le Pen est la vedette de l’émission politique phare du PAF français « l’heure de vérité » animée par le très réactionnaire François Henri De Virieu.
Entre 1984 et 1984, François-Henri de Virieu invite huit fois le chef du Front National à son émission, L’Heure de vérité.
Ce traitement de faveur pour Jean-Marie Le Pen amènera de ce dernier une reconnaissance appuyée pour un président qui avait brisé « l’omerta ». Mais, au delà de Mitterrand, c’est la direction du Parti Socialiste qui fait le choix de favoriser Le Pen. Ainsi le premier ministre socialiste Pierre Bérégovoy en juin 1984 osait déclarer « on a tout intérêt à POUSSER le FN, il rend la droite inéligible. Plus il sera fort, plus on sera imbattables », Laurent Fabius en septembre 1984 surenchérissait par son resté « fameux » : « Le Pen pose de vraies questions auxquelles il apporte de fausses réponses ».